1 Emmaüs.
Personne ne s'en doutait encore, mais nous étions à une encablure d'un deuxième tour ! Le premier tour s'était terminé par une croix mettant fin à un chemin, comme lors de nos jeux de piste une croix indiquait une fausse piste. Une croix et un blanc.
Un tombeau vide, tellement vide qu'il était impossible de ne pas voir à l'intérieur le drap mortuaire posé à plat qui ne laissait plus place au cadavre, ainsi qu'un linge qui avait recouvert la tête du crucifié, plié, là sa place.
Le tombeau est vide. Paradoxe : obscurité et grand "blanc" signes de l'absence. L'absence du samedi se prolongera-t-elle indéfiniment ? Allons-nous longtemps encore désespérer ? Ruminer d'avoir perdu ? Désespérer du changement ? Renoncer à un avenir libéré ? Était-ce un dernier tour ?
2 Après le premier tour, juste avant le second, il est encore temps de réagir, quoiqu'il en coûte ! Car attention, avertit Aristote, " La nature a horreur du vide." Et ils ne manquent pas, celles et ceux qui voient là une chance, d'investir et remplir brutalement l'espace libéré d'un "quelque chose" qui pourrait être incolore et inodore et sans saveur, ou tout au contraire bien, pire, cramoisi, pestilentiel et ignoble.
En tout cas, ils ne le savent pas encore mais sur le chemin du retour, Cléophas, et un ou une autre disciple, dont on ne connaît pas le nom, peut-être signe de tous les anonymes... Enfin tous deux sont remplis de tristesse, de déception sûrement, et ont avancé vers un village qui leur est familier. Ils ne pensent pas que dans ce cadre ordinaire ils vont retrouver un visage non moins familier. Mais nous n'en sommes pas là, et dès les premiers pas sur le chemin ils sont rejoints par un inconnu.
3 Un inconnu qui leur semble étrange, comme tombé de la dernière pluie, ou quelqu'un venant d'ailleurs, quoi ! En tout cas le premier contact est glacial. À peine partis les voilà immobilisés au bord du chemin, faisant face à cet étranger qui se permet de leur dire -histoire d'engager la conversation ... était-ce la bonne manière - :
" Pourquoi sur votre visage une telle tristesse ?" Demander à quelqu'un pourquoi il fait la gueule est ressenti comme une provocation qui, ici, enflamme les deux marcheurs : "Mais vous êtes bien les seuls à ne pas savoir tout ce qui s'est passé... vous ne regardez donc jamais les événements en face ?"
Et l'étranger, un peu malicieux, se prête à la question : "Et quoi donc ? Que s'est-il passé ?"
- "Vous ne savez pas... à Jérusalem ils l'ont arrêté, ils l'ont jugé, ils l'ont condamné et exécuté sur la croix. Voilà notre ami n'est plus parmi nous, alors maintenant nous n'avons que nos yeux pour pleurer !Et "n'avoir que ses yeux pour pleurer" est une réaction physique qui s'empare sur le tard -le trop tard même- de nos esprits en situation irréversible et désespérée. Ne prenons donc pas ce risque !
4 Mais les premiers mots entre étranger et inconnus ... subitement font que quelque chose avait changé la couleur du chemin. Cléophas et l'inconnu(e) sans plus de commentaires reprirent leur marche. L'étranger les accompagnait. Et chemin faisant ils se mirent naturellement à parler. Les compagnons n'avaient pas vraiment le cœur à parler, mais ils écoutèrent l'étranger qui leur parlait de son arrière-pays, d'où il venait, qu'est-ce qu'il cherchait, il leur confia même quelques paroles intimes qui le concernaient profondément. Ce chemin devenait un chemin qui se chargeait d'histoires, de cultures, de quêtes, dépassant les différences. Il se profilait encore imprécisément quelque but encore indicible, improbable.
Comme le temps avait roulé et que chemin s'était déroulé, nos deux compagnons, comme un couple qui rentre à la maison, malgré leur infinie tristesse n'ont pas perdu une qualité essentielle qu'ils pratiquent depuis toujours : l'hospitalité du pauvre, du petit, du sans-toit, de l'étranger, pour offrir un petit temps privilégié, dont on ne sait jamais l'effet qu'il peut produire ! Reste avec nous car déjà le jour baisse il se fait tard. Là, oui, on approchait vraiment le second tour, en tout cas c'est un nouvel arrêt sur le chemin ! Le temps de se saisir ou ressaisir.
5 Le temps de se redire que l'Evangile désavoue la "préférence nationale..." pour toute demande de logement social et pour tout emploi. « La préférence nationale maintiendrait ainsi hors de la solidarité du pays des personnes en très grande difficulté, d’où qu’elles viennent… » martèle la Fondation de l'Abbé Pierre.
L'évangile doit être entendu ! Comme Bartimée, (Marc 10,46-52) hurle au bord du chemin, car il ne reste que cela à faire. Il finit par être entendu, reconnu jusqu'à exprimer son désir !
Un président, aussi imparfait a-t-il pu être, a-t-il encore une réserve d'écoute, pour entendre les désirs les plus profonds le plus vitaux ?
Un président est-il capable de dire : "En effet l'autre, au bord du chemin ou sur un autre chemin à raison ?"
Un président est-il capable de faire droit à celle et ceux qui n'en peuvent plus, au seuil de pauvreté voire, plus bas encore, en tout cas à l'espoir s'évanouissant ?
Un président est-il capable d'envisager, malgré toutes les menaces, le bien commun du pays, de l'Europe ?
Un président est-il capable de plagier François de Sales en se "se faisant tout à tous ?"
Un Président est-il capable, non pas de se démarquer du nationalisme mais de partir en croisade contre toutes les formes de radicalisme et d'extrémisme qui gomment l'humanité du regard, défigurent les visages et disloquent les nations ?6 Le temps avait roulé, il se faisait tard, le soleil rougissait déjà l'horizon, la nuit serait vite là. Une nuit qui s'annonçait profondément triste, une nuit qu'ils imaginaient pratiquement maintenant sans lendemain tant il est vrai que dans la vie telle ou telle rupture, personnelle ou plus sociale et politique peuvent d'un seul coup nous laisser dans une ambiance de "no futur" et régurgiter les plus sombres années que l'histoire nous a déjà fait passer.
En rentrant dans l'auberge d'Emmaüs, l'on avait quitté la voie publique, on avait quitté la marche en écoute historique, on avait quitté toute velléité de paraître, et voici qu'en quelques instants à l'auberge se noue une intimité où il faisait bon se restaurer après une telle journée. Une étonnante liberté et lucidité au cours de ce repas "coup de foudre !" À cause d'un morceau de pain, à cause de ce petit geste qui partageait ce pain, à cause de cela, la table se renversa, Cléophas se précipita et le chemin s'inversa. Le visage reconnu s'effaça et comme un couple ragaillardi qui sort de sa maison, ils se précipitèrent à Jérusalem pour une nouvelle aventure, pour le second tour, sur le chemin de la Galilée, la Galilée des nations ! Ce sera peut-être bien le dernier tour, si on a trouvé le sens du chemin ! Pas besoin de mettre notre maison en ordre avant de partir ! Jésus s'y emploie chemin faisant, il met en ordre de marche, en ordre d'amour ! Bonne Fête du second dimanche de Pâque, jour d'élection... Thierry Mollard osfs
Le : Mardi 19 Avril 2022
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